L'HOMME est naturellement observateur.
Des sa naissance sa seule occupation est d'observer, pour apprendre à faire usage de ses organes.
L'œil, par exemple, lui serait inutile si la Nature ne le portait d'abord à faire attention aux moindres variations dont il est susceptible.
C'est par les effets alternatifs de la jouissance et de la privation, qu'il apprend à connoître l'existence de la lumière & ses différentes gradations mais il resteroit dans l'ignorance de la distance, de la grandeur & de la forme des objets si en comparant & combinant les impressions des autres organes, il n'apprenoit à les rectifier l'un par l'autre.
La plupart des sensations, sont donc le résultat de ses réslexions sur les impressions réunies dans ses organes.
C'est ainsi que l'homme passe ses premières années à acquérir l'usage prompt & juste de ses sens : son penchant à observer, qu'il tient de la Nature, le met en état de se former lui-même & la perfection de ses facultés dépend de son application plus ou moins constante.
Dans le nombre infini d'objets qui s'offrent successivement à lui son attention se porte essentiellement sur ceux qui l'intéressent par des rapports plus particuliers.
Les observations des effets que la Nature opère universellement & constamment sur chaque individu, ne sont pas l'apanage exclusif des Philosophes; l'intérêt universel fait presque de tous les individus autant d'Observateurs.
Ces observations multipliées de tous les temps & de tous les lieux ne nous laissent rien à désirer sur leur réaiité.
L'activité de l'esprit humain, jointe à l'ambition de Savoir qui n'est jamais satisfaite, cherchant à perfectionner des connoissances précédemment acquises, abandonne l'observation, & y supplée par des spéculations vagues & souvent frivoles; elle forme & accumule des systêmes qui n'ont que le mérite de leur mystérieuse abstraction; elle s'éloigne infenfiblement de la vérité au point de la faire perdre de vue, & de lui substituer l'ignorance & la superstition.
Les connoinances humaines ainsi dénaturées, n'offrent plus rien de la réalité qui les caractérisait dans le principe.
La Philosophie a quelquefois fait des efforts pour se dégager des erreurs & des préjugés mais, en renversant ces édifices avec trop de chaleur, elle en a recouvert les ruines avec mépris, sans fixer son attention sur ce qu'elles renfermoient de précieux.
Nous voyons chez les différens peuples, les mêmes opinions confervées fous une forme si peu avantageuse & si peu honorable pour l'esprit humain, qu'il n'est pas vraisemblable qu'elles se soient établies sous cette forme.
L'imposture & l'égarement de la raison, auroient en vain tenté de concilier les nations pour leur faire généralement adopter des systêmes aussi évidemment absurdes & ridicules que nous les voyons aujourd'hui; la vérité feule & l'intérêt général, ont pu donner à ces opinions leur universalité.
On pourroit donc avancer, que parmi les opinions vulgaires de tous les temps, qui n'ont pas leurs principes dans le cœur humain, il en est peu qui, quelque ridicules & même extravagantes qu'elles paroissent, ne puissent être considérées comme le reste d'une vérité primitivement reconnue.
TELLES font les réflexions que j'ai faites fur les connoiffances en gêneral, & plus particulièrement fur le fort de la doctrine de l'influence des corps céleftes fur la planète que nous habitons. Ces réflexions m'ont conduit à rechercher, dans les débris de cette fcience avilie par l'ignorance, ce qu'elle pouvoit avoir d'utile & de vrai.
D'après mes idées fur cette matière, je donnai à Vienne, en 1766,une Dissertation de l'influence des planètes fur le corps humain. J'avançois, d'après les principes connus de l'attraction univerfelle, constatée par les obfervations qui nous apprennent que les planètes s'affectent mutuellement dans leurs orbites, & que la lune & le foleil caufent & dirigent fur notre globe le flux & reflux dans la mer, ainfi que dans l'atmosphère; j'avançois, dis-je, que ces fphères exercent aussi une action directe fur toutes les parties conftitutives des corps animés, particuliè- rement fur le système nerveux, moyennant un fluide qui pénètre tout : je déterminois cette action par L'iNTENSION ET LA RÉMISSION des propriétés de la matière & des corps organifés, telles que font la gravité, la cohésion, l'élasticité, l'irritabilité, l'électricité.
Je soutenais que, de même que les effets alternatifs à l'égard de la gra- vité, produisent dans la mer le phénomène fensible que nous appelons flux & reflux, L'INTENSION ET LA RÉMISSION desdites propriétés, étant sujettes à l'action du même principe, occafionnent dans les corps animés des effets alternatifs analogues à ceux qu'éprouve la mer. Par ces confidérations, j'établissais que le corps animal étant foumis à la même action, éprouvoit aussi une forte de flux & reflux.
J'appuyols cette théorie de différens exemples de révolutions périodiques. Je nommois la propriété du corps animal, qui le rend sufceptible de l'action des corps célestes & de la terre, MAGNÉTISME ANIMAL; j'expliquois par ce magnétisme, les révolutions périodiques que nous remarquons dans le fexe & généralement celles que les Médecins de tous les temps & de tous les pays ont observées dans les maladies.
Mon objet alors n'étoit que de fixer l'attention des Médecins; mais loin d'avoir réussi, je m'apperçus bientôt qu'on me taxoit de fingularité qu'on me traitoit d'homme à fystême & qu'on me faifoit un crime de ma pro- penfion à quitter la route ordinaire de la Médecine.
Je n'ai jamais dissimulé ma façon de penfer à cet égard, ne pouvant en effet me perfuader que nous ayons fait dans l'art de guérir les progrès dont nous nous sommes flattés; j'ai cru au contraire que plus nous avancions dans les connnoinances du mécanifme & de l'économie du corps animal, plus nous étions forcés de reconnaitre notre infuffifance.
La connoissance que nous avons acquife aujourd'hui de la nature & de l'action des nerfs toute imparfaite qu'elle est, ne nous laiffe aucun doute à cet égard. Nous favons qu'ils font les principaux agens des sensations & du mouvement, fans favoir les rétablir dans l'ordre naturel lorsqu'il est altéré; c'est un reproche que nous avons à nous faire.
L'ignorance des fiècles précédens fur ce point, en a garanti les Médecins. La confiance fu- perftitieufe qu'ils avoient & qu'ils infpiroient dans leurs fpécifiques & leurs formules, les rendoit defpotes & préfomptueux.
Je refpecte trop la NATURE pour pouvoir me perfuader que la conservation individuelle de l'homme ait été réfervée au hafard des découvertes, & aux obfervations vagues qui ont eu lieu dans la fuccefuon de plusieurs siècles pour devenir le domaine de quelques particuliers.
La Nature a parfaitement pourvu à tout pour l'existence de l'individu la génération se fait sans fystême, comme fans artifice. Comment la confervation feroit-elle privée du même avantage ? celle des bêtes est une preuve du contraire.
Une aiguille non aimantée, mise en mouvement, ne reprendra que par hafard une direction déterminée; tandis qu'au contraire, celle qui est aimantée ayant reçu la même impulfion, après différentes ofcillations proportionnées à l'impulfion & au magnétisme qu'elle a reçus, retrouvera fa première pofition & s'y fixera.
C'est ainfi que l'harmonie des corps organifés, une fois troublée, doit éprouver les incertitudes de ma première fupposition, fi elle n'est rappelée & déterminée par L'AGENT GÉNÉRAL dont je reconnois l'existence: lui feul peut rétablir cette harmonie dans l'état naturel.
Aussi a-t-on vu de tous les temps, les maladies s'agraver & fe guérir avec & fans le secours de la Médecine, d'après différens Sytêmes & les méthodes les plus oppofées. Ces confidérations ne m'ont pas permis de douter qu'il n'existe dans la Nature un principe univerfellement agissant, & qui, indépendamment de nous, opère ce que nous attribuons vaguement à l'Art & à la Nature.
Ces réflexions m'ont infenfiblement écarté du chemin frayé. J'ai foumis mes idées à l'expérience pendant douze ans, que j'ai confacrés aux obfervations les plus exactes fur tous les genres de maladies & j'ai eu la Satisfaction de voir les maximes que j'avois preffenties, fe vérifier constamment.
Ce fut fur-tout pendant les années 1773 & 1774, que j'entrepris chez moi le traitement d'une demoifelle âgée de 19 ans, nommée Œsterline, attaquée depuis plusieurs années d'une maladie convulfive dont les Symptômes les plus fâcheux étoient, que le sang se portoit avec impétuofité vers la tête & excitoit dans cette partie les plus cruelles douleurs de dents & d'oreilles lefquelles étoient fuivies de délire, fureur, vomissement & Syncope.
C'étoit pour moi l'occafion la plus favorable d'obferver avec exactitude, ce genre de flux & reflux que le MAGNÉTISME ANIMAL fait éprouver au corps humain. La malade avoit souvent des crifes salutaires & un soulagement remarquable en étoit la fuite; mais ce n'étoit qu'une jouiffance momentanée & toujours imparfaite.
Le defir de pénétrer la caufe de cette imperfection, & mes observations non interrompues m'amenérent successivement au point de reconnoître l'opération de la Nature & de la pénétrer assez pour prévoir & annoncer, fans Incertitude, les différentes révolutions de la maladie. Encouragé par ce premier fuccès, je ne doutai plus de la poffibilité de la porter à fa perfection, fi je parvenois à découvrir qu'il existât entre les corps qui compofent notre globe une action également réciproque & semblable à celle des corps célelestes, moyennant laquelle je pourrois imiter artificiellement les révolutions périodiques du flux & reflux dont j'ai parlé.
J'avois fur l'aimant les connoissances ordinaires: fon action fur le fer, l'aptitude de nos humeurs à recevoir ce minéral. & les différens effais faits tant en France, qu'en Allemagne & en Angleterre, pour les maux d'estomac & douleurs de dents, m'étoient connus. Ces motifs, joints à l'analogie des propriétés de cette matière avec le système général me la firent confidérer comme la plus propre à ce genre d'épreuve. Pour m'assurer du fuccès de cette expérience, je préparai la malade, dans l'intervalle des accès par un ufage continué des martiaux.
Mes relations de Société avec le Père Hell, Jésuite, professeur d'Astronomie à Vienne, me fournirent enfuite l'occafion de le prier de me faire exécuter par fon artiste plufieurs pièces aimantées, d'une forme commode à l'application il voulut bien s'en charger & me les remettre.
La malade ayant éprouvé, le 28 juillet 1774, un renouvellement de fes accès ordinaires, je lui fis l'application fur l'estomac & aux deux jambes, de trois pièces aimantées. Il en résultoit, peu de temps après, des fenfations extraordinaires elle éprouvoit intérieurement des courans dou- loureux d'une matière fubtile qui après différens efforts pour prendre leur direction fe déterminèrent vers la partie inférieure & firent cesser pendant fix heures tous les fymptômes de l'accès.
L'état de la malade m'ayant mis le lendemain dans le cas de renouveler la même épreuve, j'en obtins les mêmes fuccès. Mon observation fur ces effets, combinée avec mes idées fur le systême général, m'éclaira d'un nouveau jour en confirmant mes précédentes idées fur l'influence de L'AGENT GÉNÉRAL elle m'apprit qu'un autre principe faifoit agir l'aimant, incapable par lui même de cette action fur les nerfs & me fit voir que je n'avois que quelques pas à faire pour arriver a la THÉORIE IMITATIVE qui faifoit l'objet de mes recherches.
Quelques jours après, ayant rencontré le Père Hell, je lui appris, par forme de converfation le meilleur état de la malade, les bons effets de mon procédé, & l'efpoir que j'avois, d'après cette opération, de rencontrer bientôt le moyen de guérir les maladies de nerfs.
J'appris peu de temps après, dans le public & par les Journaux, que ce Religieux, abufant de sa célébrité en Astronomie & voulant s'approprier une découverte dont il ignoroit entièrement la nature & les avantages s'étoit permis de publier qu'avec des pièces aimantées, auxquelles il supposait une vertu fpécifique dépendante de leur forme, il s'étoit assuré des moyens de guérir les maladies de nerfs les plus graves.
Pour accréditer cette opinion, il avoit adreffé à plufieurs Académies des garnitures compofées de pièces aimantées de toutes les formes, en indiquant d'après leur figure l'analogie qu'elles avoient avec les diffé- rentes maladies. Voici comme il s'exprimoit:
« J'ai découvert dans ces figures conformes au tourbillon magnétique, une perfection de laquelle dépend la vertu fpécifique contre les maladies; c'est par le défaut de cette perfection, que les épreuves faites en Angleterre & en France, n'ont eu aucun succès.»
Et en affectant de confondre la fabrication des figures aimantées avec la découverte dont je l'avois entretenu, il terminoit par dire:
« qu'il avoit tout communiqué aux Medecins, & particulièrement a moi, dont il continueroit à fe fervir pour faire fes épreuves. »
Les écrits réitérés du Père Hell fur cette matière, tranfmirent au public toujours avide d'un fpécifique contre les maladies nerveufes l'opinion mal fondée, favoir que la découverte en question consistoit dans le feul emploi de l'aimant. J'écrivis à mon tour pour détruire cette erreur, en publiant l'exiftance du MAGNÉTISME ANIMAL, effentiellement distinct de l'aimant; mais le public prévenu par un homme en réputation refta dans fon erreur.
Je continuai mes épreuves fur différentes maladies afin de généralifer mes connoissances & d'en perfectionner l'application. Je connoissais particulièrement M. le Baron de Stoërck, Préfident de la Faculté de Médecine a Vienne, & premier Médecin de Sa Majesté. Il étoit d'ailleurs convenable qu'il fût bien inftruit de la nature de ma découverte & de fon objet.
Je mis en conféquence fous fes yeux, les détails circonstanciés de mes opérations, particulièrement fur la communication & les courans de la matière magnétique animale & je l'invitai à s'en assurer par lui-même en lui annonçant que mon intention étoit de lui rendre compte, par la fuite de tous les progrès que je pourrois faire dans cette nouvelle carrière; & que pour lui donner la preuve la plus certaine de mon attachement, je lui com- muniquerois mes moyens fans aucune réferve.
La timidité naturelle de ce Médec!n, appuyée fans doute fur des motifs que mon intention n'est pas de pénétrer, le détermina à me répondre qu'il ne vouloit rien connoître de ce que je lui annonçoit, & qu'il m'invitoit à ne pas compromettre la Faculté par la publicité d'une innovation de ce genre.
Les préventions du public & les incertitudes fur la nature de mes moyens, me déterminèrent à publier une Lettre le 5 janvier 1775, à un Médecin étranger, dans laquelle je donnois une idée précife de ma théorie, des fuccès que j'avois obtenus jufqu'alors & de ceux que j'avois lieu d'efpérer. J'annonçois la nature & l'action du MAGNÉTISME ANIMAL, & l'analogie de fes propriétés avec celles de l'aimant et de l'electricité.
J'ajoutois, « que tous les corps étoient, ainfi que l'aimant, fufceptibles de la communication de ce principe magnétique; que ce fluide pénétroit tout; qu'il pouvoit être accumulé & concentré, comme le fluide électrique; qu'il agissait dans l'éloignement; que les corps animés étoient divifés en deux classes, dont l'une étoit fufceptible de ce magnétisme, & l'autre d'une vertu oppofée qui en fupprime l'action. Enfin, je rendois raison des différentes fenfations, & j'appuyois ces assertions des expériences qui m'avoient mis en état de les avancer.
Peu de jours avant la publication de cette Lettre, j'appris que M. Ingenhoufze, membre de l'Académie royale de Londres, & Inoculateur à Vienne, qui, en amusant la noblesse & les personnes distinguées, par des expériences d'électricité renforcées, & par l'agrément avec lequel il varioit les effets de l'aimant, avoit acquis la réputation d'être Phyficien; j'appris, dis-je, que ce particulier entendant parler de mes opérations, les traitoit de chimère & alloit jufqu'à dire, « que le génie Anglois étoit feul capable d'une telle découverte fi elle pouvoit avoir lieu «.
Il fe rendit chez moi non pour fe mieux infiruire, mais dans l'intention unique de me perfuader que je m'expofois à donner dans l'erreur & que je devois fupprimer toute publicité pour éviter le ridicule qui en feroit la fuite.
Je lui répondis qu'il n'avoit pas assez de lumieres pour me donner ce confeil & qu'au surplus, je me ferois un plaifir de le convaincre à la première occasion. Elle fe présenta deux jours après.
La demoifelle Œsterline éprouva une frayeur & un refroidinement qui lui occafionnèrent une suppression fubite; elle retomba dans fes premières convulsions. J'invitai M. Ingenhousze à se rendre chez moi. Il y vint accompagné d'un jeune Médecin. La malade étoit alors en fyncope avec des convulsions. Je le prévins que c'étoit l'occafion la plus ravorable pour se convaincre par lui-même de l'exiftence du principe que j'annonçois, & de la propriété qu'il avoit de fe communiquer.
Je le fis approcher de la malade, dont je m'éloignai, en lui difant de la toucher. Elle ne fit aucun mouvement. Je le rappelai près de moi, & lui communiquai le magnétifme animal en le prenant par les mains: je le fis enfuite rapprocher de la malade, me tenant toujours éloigné, & lui dis de la toucher une feconde fois; il en résulta des mouvemens convulsifs. Je lui fis répéter plufieurs fois cet attouchement, qu'il faifoit du bout du doigt, dont il varioit chaque fois la direction; & toujours, à fon grand étonnement il opéroit un effet convulfif dans la partie qu'il touchoit. Cette opération terminée, il me dit qu'il étoit convaincu.
Je lui propofai une feconde épreuve. Nous nous éloignâmes de la malade, de manière à n'en être pas apperçus, quand même elle auroit eu fa connoinance. J'offris à M. Ingenhousze fix taffes de porcelaine, & le priai de m'indiquer celle à laquelle il vouloit que je communiquasse la vertu magnétique. Je la touchai d'après fon choix je fis enfuite appliquer fucceffivement les fix taffes fur la main de la malade lorfqu'on parvint à celle que j'avois touchée, la main fit un mouvement & donna des marques de douleurs. M. Ingenhoufze ayant fait repaffer les fix taffes, obtint le même effet.
Je fis alors rapporter ces taffes dans le lieu où elles avoient été prifes; & après un certain intervalle lui tenant une main, je lui dis de toucher avec l'autre, celle de ces tausses qu'il voudroit; ce qu'il fit ces tasses rapprochées de la malade comme précédemment il en réfulta le même effet.
La communicabilité du principe étant bien établie aux yeux de M. Ingenhoufze je lui propofai une troisième expérience, pour lui faire con- noitre fon action dans l'éloignement, & fa vertu pénétrante. Je dirigeai mon doigt vers la malade à la distance de 8 pas: un inftant après, fon corps fut en convulfion au point de la foulever fur fon lit avec les apparences de la douleur. Je continuai, dans la même pofition à diriger mon doigt vers la malade, en plaçant M. Ingenhoufze entre elle & moi elle éprouva les mêmes fenfations.
Ces épreuves répétées au gré de M. Ingenhoufze je lui demandai s'il en étoit fatisfait & s'il étoit convaincu des propriétés merveilleufes que je lui avois annoncées; lui offrant, dans le cas contraire, de répéter nos procédés. Sa réponse fut, qu'il n'avoit plus rien à defirer & qu'il étoit convaincu mais qu'il m'invitoit, par l'attachement qu'il avoit pour moi à ne rien communiquer au public fur cette matière, afin de ne pas m'expofer à fon incrédulité.
Nous nous féparâmes. Je me rapprochai de la malade pour continuer mon traitement; il eut le plus heureux succès. Je parvins le même jour à rétablir le cours ordinaire de la nature, & à faire ceffer par-là tous les accidens qu'avoient occafionnés la suppression.
Deux jours après, j'appris avec étonnement, que M. Ingenhoufze tenoit dans le public des propos tout opposés à ceux qu'il avoit tenus chez moi, qu'il démentoit le fuccès des différentes expériences dont il avoit été témoin; qu'il affectoit de confondre le MAGNÉTISME ANIMAL avec l'aimant & qu'il cherchoit à ternir ma réputation, en répandant, qu'avec le fecours de plusieurs pièces aimantées, dont il s'étoit pourvu, il étoit parvenu a me démasquer, & à connoître que ce n'était qu'une fupercherie ridicule & concerté.
J'avouerai que de tels propos me parurent d'abord incroyables & qu'il m'en coûta d'être forcé d'en regarder M. Ingenhousze comme l'auteur; mais fon association avec le Jéfuite Hell, les écrits inconféquens de ce dernier, pour appuyer d'auffi odieufes imputations, & détruire l'effet de ma Lettre du 5 janvier, ne me permirent plus de douter que M. Ingenhoufze ne fût coupable.
Je réfutai le père Hell, & me difpofois à former une plainte, lorfque la demoifelle Œsterline, intruite des procédés de M. Ingenhoufze, fut tellement blessée de fe voir ainfi compromife qu'elle retomba encore dans fes premiers accidens, aggravés d'une fièvre nerveufe. Son état fixa toute mon attention pendant quinze Jours. C'est dans cette circonstance, qu'en continuant mes recherches je fus assez heureux pour surmonter les difficultés qui s'oppofoient à ma marche, & pour donner à ma théorie la perfection que je defirois. La guérifon de cette demoifelle en fut le premier fruit; & j'ai eu la satisfaction de la voir, depuis cette époque, jouir d'une bonne santé se marier & avoir des enfans.
Ce fut pendant ces quinze jours que, déterminé à justifier ma conduite, & à donner au public une jufte idée de mes moyens en dévoilant la conduite de M. Ingenhousze, j'en instruisis M. de Stoërck; & lui demandai de prendre les ordres de la Cour pour qu'une Commiffion de la Faculté fût chargée des faits, de les conftater & de les rendre publics. Ma démarche parut être agréable à ce premier Médecin; il eut l'air de partager ma façon de penfer, & il me promit d'agir en conséquence, en m'obfervant toute- fois qu'il ne pouvoit pas être de la Commission. Je lui propofai plufieurs fois de venir voir la demoifelle Œsterline, & de s'assurer par lui-même du fuccès de mon traitement. Ses réponfes, fur cet article, furent toujours vagues & incertaines.
Je lui expofai combien il feroit avantageux à l'humanité d'établir dans la fuite ma méthode dans les hôpitaux & je lui demandai d'en démontrer dans ce moment l'utilité dans celui des Efpagnols: il y acquiefça & donna l'ordre nécessaire à M. Reinlein, Médecin de cette maifon. Ce dernier fut témoin pendant huit jours des effets & de l'utilité de mes visites; il m'en témoigna plufieurs fois fon étonnement, & en rendit compte à M. de Stoërck. Mais je m'apperçus bientôt qu'on avoit donné de nouvelles impreffions à ce premier Médecin je le voyois prefque tous les jours, pour insister fur la demande d'une Commission, & lui rappeler les chofes intéressantes dont je l'avois entretenu; je ne voyois plus de sa part qu'indifférence, froideur & éloignement pour tout ce qui avoit quelque relation avec cette matière. N'en pouvant rien obtenir, M. Reinlein ayant ceffé de me rendre compte, étant d'ailleurs instruit que ce changement de conduite étoit le fruit des démarches de M. Ingenhoufze, je fentis mon infuffifance pour arrêter les progrès de l'intrigue, & je me condamnai au filence.
M. Ingenhoufze, enhardi par le fuccès de fes démarches, acquit de nouvelles forces; il fe fit un mérite de fon incrédulité, & parvint en peu de temps à faire taxer d'efprit foible qui- conque fufpendoit fon jugement, ou n'étoit pas de fon avis. Il est aifé de comprendre qu'il n'en falloit pas davantage pour éloigner la multitude, & me faire regarder au moins comme un visionnaire, d'autant que l'indifférence de la Faculté fembloit appuyer cette opinion. Ce qui me parut bien étrange, fut de la voir accueillir, l'année fuivante, par M. Klinkofch profeffeur de Médecine à Prague, qui, fans me connoître & fans avoir aucune idée de l'état de la question, eut la foibleffe, pour ne rien dire de plus, d'appuyer dans des écrits publics [note 1] le singulier détail des impostures que M. Ingenhoufze avoit avancées fur mon compte.
Quoi qu'il en fût alors de l'opinion publique, je crus que la vérité ne pouvoit être mieux appuyée que par des faits. J'entrepris le traitement de différentes maladies, telles entre autres, qu'une hémiplégie, fuite d'une apoplexie des fuppressions des vomissemens de fang, des coliques fréquentes & un fommeil convulfif dès l'enfance, avec un crachement de fang & ophtalmies habituelles. M. Bauer, professeur de Mathématiques à Vienne, d'un mérite distingué, étoit attaqué de cette dernière maladie. Mes travaux furent suivis du plus heureux fuccès & M. Bauer eut l'honnêteté de donner lui-même au public une relation détaillée de fa guérifon; mais la prévention avoit pris le deffus. J'eus cependant la satisfaction d'être assez bien connu d'un grand Ministre, d'un Confeiller privé & d'un Confeiller aulique, amis de l'humanité, qui avoient fouvent reconnu la vérité par eux-mêmes, pour la leur voir foutenir & protéger: ils firent même plufieurs tentatives pour écarter les ténèbres dont on cherchoit à l'obfcurcir; mais on les éloigna constamment, en leur oppofant que l'avis des Médecins étoit feul capable de déterminer: leur bonne volonté fe réduisit ainsi à m'offrir de donner à mes écrits la publicité qui me feroit nécenaire dans les pays étrangers.
Ce fut par cette voie que ma Lettre explicative du 5 janvier 1775, fut communiquée à la plupart des Académies des Sciences, & à quelques Savans. La feule Académie de Berlin, fit le 14 mars de cette année, une réponfe écrite par laquelle en confondant les propriétés du Magnétifme animal que j'annoncois, avec celles de l'aimant, dont je ne parlois que comme conducteur, elle tomboit dans différentes erreurs; & fon avis étoit que j'étois dans l'illusion.
Cette Académie n'a pas feule donné dans l'erreur de confondre le MAGNÉTISME ANIMAL avec le minéral, quoique j'aie toujours persisté dans mes écrits à établir que l'usage de l'aimant, quoiqu'utile, étoit toujours imparfait fans le fecours de la théorie du Magnétisme animal. Les Phyficiens & Médecins avec lefquels j'ai été en correspondance ou qui ont cherché à me pénétrer, pour ufurper cette découverte, ont prétendu & affecté de répandre, les uns que l'aimant étoit le feul agent que j'employaffe les autres que j'y joignois l'électricité, & cela, parce qu'on favoit que j'avois fait ufage de ces deux moyens. La plupart d'entre eux ont été détrompés par leur propre expérience; mais au lieu de reconnoître la vérité que j'annonçois, ils ont conclu de ce qu'ils n'obtenoient pas de fuccès par l'usage de ces deux agens que les guérisons annoncées de ma part étoient supposées; & que ma théorie étoit illufoire. Le defir d'écarter pour jamais de femblables erreurs, & de mettre la vérité dans fon jour, m'a déterminé à ne plus faire aucun ufage de l'électricité ni de l'aimant depuis 1776.
Le peu d'accueil fait à ma découverte; & la foible efpérance qu'elle m'offroit pour l'avenir, me déterminèrent à ne plus rien entreprendre de public à Vienne, & à faire un voyage en Souabe & en Suisse, pour ajouter à mon expérience & me mener à la vérité par des faits. J'eus effectivement la satisfaction d'obtenir plufieurs guérisons frappantes en Souabe, & d'opérer dans les hôpitaux, fous les yeux des Médecins de Berne & de Zurich des effets qui, en ne leur laissant aucun doute fur l'existence du MAGNÉTïSME ANIMAL, & fur l'utilité de ma théorie, diffipèrent l'erreur dans laquelle mes contradicteurs les avoient déja jetés.
Ce fut de l'année 1774 à celle de 1775 qu'un ecclésiastique homme de bonne foi, mais d'un zèle exceffif, opéra dans le diocéfe de Ratisbonne fur différens malades du genre nerveux, des effets qui parurent furnaturels aux yeux des hommes les moins prévenus & les plus éclairés de cette contrée. Sa réputation s'étendit jufqu'à Vienne, où la fociété étoit divifée en deux partis; l'un traitoit ces effets d'impostures & de fupercherie tandis que l'autre les regardoit comme des merveilles opérées par la puiffance divine. L'un & l'autre cependant étoient dans l'erreur; & mon expérience m'avoit appris dès-lors que cet homme n'étoit en cela que l'instrument de la Nature. Ce n'étoit que parce que fa profession, fecondée du hafard, dé- terminoit près de lui, certaines combinaifons naturelles, qu'il renouveloit les fymptômes périodiques des maladies, fans en connoître la caufe. La fin de ces paroxifmes étoit regardée comme des guérifons réelles: le temps seul put défabufer le public.
Me retirant à Vienne, fur la fin de l'année 1775, je passai par Munic, où fon Alteffe l'Electeur de Bavière, voulut bien me consulter fur cette matière, & me demander fi je pouvois lui expliquer ces prétendues merveilles. Je fis fous fes yeux des expériences qui écartèrent les préjugés de fa perfonne, en ne lui laissant aucun doute fur la vérité que j'annonce. Ce fut peu de temps après que l'Académie des Sciences de cette capitale me fit l'honneur de m'admettre au rang des fes membres.
Je fis, en l'année 1776, un fecond voyage en Bavière; j'y obtins les mêmes fuccès dans des maladies de différens genres. J'opérai particulièrement la guérison d'une goutte-fereine imparfaite avec paralyfie des membres, dont étoit attaqué M. d'Ofterwald, directeur de l'Académie des Sciences de Munic; il a eu l'honnêteté d'en rendre compte au public ainfi que des autres effets dont il avoit été témoin [note 2]. De retour à Vienne, je persistai jufqu'à la fin de la même année, à ne plus rien entreprendre; & je n'aurois pas changé de réfolution, fi mes amis ne s'étoient réunis pour la combattre: leurs instances, jointes au défir que j'avois de faire triompher la vérité, me firent concevoir l'efpérance d'y parvenir par de nouveaux fuccès, & fur-tout par quelque guérifon éclatante. J'entrepris dans cette vue, entre autres malades, la demoifelle Paradis, âgée de 18 ans, née de parens connus particulièrement connue elle-même de Sa Majesté l'impératrice-Reine, elle recevoit dé sa bienfaifance une penfion dont elle jouissait, comme abfolument aveugle, depuis l'âge de 4 ans. C'étoit une goutte-fereine parfaite, avec des convulsions dans les yeux. Elle étoit de plus attaquée d'une mélancolie accompagnée d'obstructions à la rate & au foie qui la jetoient souvent dans des accès de délire & de fureur, propres à perfuader qu'elle étoit d'une folie consommée.
J'entrepris encore la nommée Zwelferine, âgée de 19 ans, étant aveugle dès l'âge de deux ans d'une goutte- fereine accompagnée d'une taie rideufe & très-épaisse, avec atrophie du globe; elle étoit de plus attaquée d'un crachement de fang périodique. J'avois pris cette fille dans la maifon des orphelins à Vienne; fon aveuglement étoit attesté par lesAdministrateurs.
J'entrepris, dans le même temps, la demoifelle Offine, âgée de 18 ans, penfionnée de Sa Majefté, comme fille d'un officier de fes armées. Sa maladie confiftoit dans une phthifie purulente & une mélancolie atrabilaire, accompagnée de convulfions fureur, vomissemens, crachemens de fang & syncopes. Ces trois malades étoient, ainfi que d'autres, logées dans ma maifon pour pouvoir fuivre mon traitement fans interruption. J'ai été assez heureux pour pouvoir les guérir toutes les trois.
Le père & la mêre de la demoifelle Paradis, témoins de fa guérifon & des progrès qu'elle faifoit dans l'ufage de fes yeux, s'empressèrent de répandre cet événement & leur fatisfaction. On accourut en foule chez moi pour s'en assurer; & chacun, après avoir mis la malade à un genre d'épreuve, se retiroit dans l'admiration, en me difant les chofes les plus flatteufes.
Les deux Préfidens de la Faculté, à la tête d'une députation de leur corps, déterminés par les instances répétées de M. Paradis fe rendirent chez moi; & après avoir examiné cette demoifelle, ils joignirent hautement leur témoignage à celui du public. M. de Stoërck, l'un de ces Meffieurs qui connoiffoit particulièrement cette jeune perfonne l'ayant traitée pendant dix ans fans aucun fuccès, m'exprima fa fatisfaction d'une cure aussi intéressante, & fes regrets d'avoir autant différé à favorifer par fon aveu, l'importance de cette découverte. Plusieurs Médecins chacun en particulier, fuivirent l'exemple de nos chefs, & rendirent le même hommage à la vérité.
D'après des démarches aussi authentiques, M. Paradis crut devoir exprimer Sa reconnoiffance en la transmettant, par fes écrits, à toute l'Europe. C'est lui qui, dans le temps, a consacré dans les feuilles publiques, les détails intéressans de la guérison de fa fille [note 3]
Du nombre. des Médecins qui etoient venus chez moi fatisfaire leur curiosité, étoit M. Barth, profeffeur d'Anatomie des maladies des yeux, & opérant de la cataracte; il avoit même reconnu deux fois que la demoifelle Paradis jouissaiit de la faculté de voir. Cet homme emporté par l'envie ofa répandre dans le public que cette demoiselle ne voyoit pas, & qu'il s'en étoit assuré par lui-même; il appuyoit cette anertion, de ce qu'elle ignoroit ou confondoit le nom des objets qui lui étoient préfentés. On lui répondoit de toute part, qu'il confondoit en cela l'incapacité néceffaire des aveugles de naissance ou du premier âge, avec les connoissances acquifes des aveugles opérés de la cataracte. Comment, lui difoit-on, un homme de votre profeffion peut-il produire une erreur auffi grossière? Mais fon impudence répondoit à tout par l'affirmative du contraire. Le public avoit beau lui répéter que mille témoins dépofoient en faveur de la guérison; lui feul foutenant la négative, s'associoit ainfi à M. Ingenhoufze, Inoculateur dont j'ai parlé.
Ces deux perfonnages, traités d'abord comme extravagans par les perfonnes honnêtes & fenfées, parvinrent à former une cabale pour enlever la demoifelle Paradis à mes soins dans l'étât d'imperfection où étoient encore fes yeux, d'empêcher qu'elle fût présentée à Sa Majesté, comme elle devoit l'être, & d'accréditer ainsi fans retour l'imposture avancée. On entreprit à cet effet d'échauffer M. Paradis par la crainte de voir supprimer la penfion de fa fille, & plufieurs autres avantages qui lui étoient annoncés. En conféquence, il réclama fa fille. Celle-ci, de concert avec fa mère, lui témoigna fa répugnance, & la crainte que fa guérifon ne fût imparfaite. On insista & cette contrariété, en renouvelant fes convulfions, lui occafionna une rechute fâcheufe. Elle n'eut cependant point de fuite relativement à fes yeux; elle continua à en perfectionner l'ufage. Le père la voyant mieux & toujours animé par la cabale, re- nouvela fes démarches; il redemanda fa fille avec chaleur, & força fa femme à l'exiger. La fille résista, par les mêmes motifs que précédemment. La mère qui jufqu'alors les avoit appuyés & m'avoit prié d'excufer les extravagances de fon mari, vint m'annoncer le 29 avril, qu'elle entendoit dès l'instant retirer fa fille. Je lui répondis qu'elle en étoit la maitresse; mais que s'il en réfultoit de nouveaux accidens, elle devoit renoncer à mes foins. Ce propos fut entendu de fa fille; il émut sa fenfibilité & elle retomba dans un état de convulsion. Elle fut fecourue par M. le comte de Pellegrini, l'un de mes malades. La mère qui entendit ses cris, me quitta brusquement, arrarcha sa fille avec fureur des mains de la perfonne qui la fecouroit, en difant Malheureufe tu es aussi d'intelligence avec les gens de cette maifon! & la jeta avec rage la tête contre la muraille. Tous les accidens de cette infortunée fe renouvelèrent. J'accourus vers elle pour la fecourir; la mère toujours en fureur, fe jeta fur moi pour m'en empêcher, en m'accablant d'injures. Je l'éloignai par la médiation de quelques perfonnes de ma famille, & je me rapprochai de fa fille pour lui donner mes foins. Pendant qu'elle m'occupoit j'entendis de nouveaux cris de fureur & des efforts répétés pour ouvrir & fermer alternativement la porte de la pièce où j'étois. C'étoit le fieur Paradis, qui averti par un domeftique de fa femme, s'étoit introduit chez moi, l'epée à la main, & vouloit entrer dans cet apparlement, tandis que mon domeftique cherchoit à l'éloigner en assurant ma porte. On parvint à désarmer ce furieux, & il sortit de ma maifon après avoir vomi mille imprécations contre moi & ma famille. Sa femme d'un autre côté étoit tombée en foibleffe; je lui fis donner les fecours dont elle avoit besoin, & elle se retira quelques heures après mais leur malheureufe fille éprouvoit des vomissemens, des convulfions & des fureurs, que le moindre bruit & fur-tout le fon des cloches renouveloit avec excès. Elle étoit même retombée dans fon premier aveuglement par la violence du coup que fa mère lui avoit occasionné, ce qui me donnoit lieu de craindre pour l'état du cerveau.
Tels furent pour elle & pour moi, les funeftes effets de cette afligeante fcène. Il m'eût été facile d'en faire conftater juridiquement les excès, par le témoignage de M. le comte de Pellegrini & celui de huit perfonnes qui étoient chez moi, fans parler d'autant de voifins qui étoient en état de déposer la vérité; mais uniquement occupé de fauver s'il étoit poffible, la demoiselle Paradis, je négligeois tous les moyens que m'offroit la justice. Mes amis fe réunirent en vain pouf me faire entrevoir l'ingratitude démontrée de cette famille, & les fuites infructueufes de mes travaux; j'insistois da ma première résolution, & j'aurois a m'en féliciter, fi j'avois pu vaincre, par des bienfaits, les ennemis de la vérité & de mon propos.
J'appris le lendemain que le sieur Paradis, cherchant à couvrir ses excès, répandoit dans le public les imputations les plus atroces sur mon compte & toujours dans la vue de retirer sa fille, & de prouver, par fon état, le danger de mes moyens. Je reçus en effet, par M. Oft, médecin de la Cour, un ordre par écrit de M. de Stoërck, en fa qualité de premier médecin, daté de Schoenbrunn le 2 mai 1777, qui m'enjoignoit de finir cette supercherie (c'étoit fon expression), & de rendre la demoifelle Paradis a sa famille, si je penfois qu'elle pût l'être fans danger.
Qui auroit pu croire que M. de Stoërck, qui étoit bien instruit, par le même médecin, de tout ce qui s'étoit passé chez moi, & qui, depuis fa premiére visite, étoit venu deux fois se convaincre par lui-méme des progrès de la malade, & de l'utitité de mes moyens, se fut permis d'employer à mon égard l'expression de l'offence et du mépris ? J'avois lieu de penser au contraire qu'essentiellement placé pour reconnaitre une vérité de ce genre il en feroit le défenfeur. J'ofe même dire que, comme Président de la Faculté plus encore, comme dépofitaire de la confiance de Sa Majesté, c'étoit le premier de fes devoirs de protéger dans cette circonstance un membre de la Faculté qu'il savoit être sans reproche, & qu'il avoit cent fois assuré de fon attachement & de fon estime. Je répondis, au furplus, à cet ordre peu réfléchi, que la malade étoit hors d'état d'être tranfportée fans être expofée à périr.
Le danger de la mort auquel étoit expofée mademoifelle Paradis, en imposa fans doute à fon père & lui fit faire quelques réflexions. Il employa près de moi la médiation de deux personnes recommandables, pour m'engager à donner encore mes foins à fa fille. Je lui fis dire que ce feroit à la condition, que ni lui ni fa femme ne paroîtroient plus dans ma maifon. Mon traitement, en effet, furpaffa mes efpérances, & neuf jours suffirent pour calmer entièrement les convulsions & faire ceffer les accidens; mais l'aveuglement étoit le même.
Quinze jours de traitement le firent cesser & rétablirent l'organe dans l'état où il étoit avant l'accident. J'y joignis encore quinze jours d'instruction pour perfectionner & raffermir fa santé. Le public vint alors s'assurer de fon rétablissement & chacun en particulier me donna, même par écrit, de nouveaux témoignages de fa satisfaction. Le fieur Paradis, assuré du bon état de fa fille par M. 0ft qui, à fa requisition, & de mon confentement, fuivoit les progrès du traitement, écrivit une lettre à ma femme où il la remercioit de fes foins maternels. Il m'adreffa aussi le même remerciement, en me priant d'agréer fes excufes fur le passé & fa reconnoiffance pour l'avenir il terminoit en me priant de lui renvoyer fa fille pour lui faire refpirer l'air de la campagne où il alloit se rendre que de-là il la renverroit chez moi, toutes les fois que je le jugerois nécessaire pour continuer son inftruction, & qu'il espéroit que je voudrois bien lui accorder mes foins. Je le crus de bonne foi, & lui renvoyai fa fille le 8 du mois de juin. J'appris dès le lendemain, que fa famille affectoit de répandre quelle étoit toujours aveugle & convulfive & la préfentoit comme telle en la forçant d'imiter les convulfions & l'aveuglement. Cette nouvelle éprouva d'abord quelques contradictions de la par des perfonnes qui s'étoient assurées du contraire mais elle fut foutenue & accréditée par la cabale obfcure dont le fieur Paradis étoit l'instrument, fans qu'il me fut possible d'en arrêter les progrès par les témoignages les plus recommandables tels que ceux de M. de Spielmann Confeiller aulique de LL. MM. & directeur de la Chancellerie d'Etat; de MM. les Confeillers de LL. MM. de Molitor, de Umlauer médecin de LL. MM.; de Boulanger, de Heufeld, & de MM. le baron de Colnbach & de Weber, qui, indépendamment de plufieurs autres perfonnes ont fuivi par eux mêmes, prefque tous les jours mes procédés & leurs effets. C'est ainfi qu'on eu successivement parvenu, malgré ma perfévérance & mes travaux à placer au rang des fuppofitions ou tout au moins des chofes les plus incertaines, la vérité la plus authentiquement démontrée.
Il eft aifé de concevoir combien je devois être affecté de l'acharnement de mes adverfaires à me nuire & de l'ingratitude d'une famille que j'avois comblée de bienfaits. Néanmoins, je continuai pendant les fix derniers mois de l'année 1777, à perfectionner la guérifon de la demoifelle Ossine & de la nommée Zwelferine dont on se rappellera qu'à l'égard des yeux, l'état étoit encore plus grave que celui de la demoifelle Paradis. Je continuai encore avec Succès le traitement des malades qui me restoient, particuliè- rement celui de la demoifelle Wipior, âgée de neuf ans, ayant fur un œil une excroiffance de la cornée, connue fous le nom de Siaphylome; & cette élévation de nature cartilagineufe, qui étoit de 3 à 4 lignes, la privoit de la faculté de voir de cet œil-là. Je fuis heureufement parvenu à réfoudre cette excroissance, au point de lui rendre la faculté de lire de côté. Il ne lui reftoit qu'une taie légère au centre de la cornée & je ne doute pas que je ne l'euffe fait difparoître entièrement fi les circonstances m'avoient permis de prolonger fon traitement mais fatigué de mes travaux depuis douze ans consécutifs, plus encore de l'animofité soutenue de mes adverfaires, sans avoir recueilli de mes recherches & de mes peines d'autre satisfaction que celle que l'adverfité ne pouvoit m'ôter, je crus avoir rempli jufqu'alors, tout ce que je devois à mes con- citoyens S~ perfuadé qu'un jour on me rendroit plus de juflice je réfolus de voyager, dans l'unique objet de me procurer le délassement dont j'avois befoin. Mais pour aller, autant qu'il étoit en moi, au devant du préjugé & des imputations, je difpofai les chofes de manière à laiffer chez moi pendant mon abfence, la demoifelle Offine & la nommée Zwelferine. J'ai pris depuis la précaution de dire au public le motif de cet arrangement en lui annonçant que ces perfonnes étoient dans ma maifon, pour que leur état pût être constaté à chaque inflant, & fervir d'appui à la vérité. Elles y ont refté huit mois depuis mon départ de Vienne, & n'en font forties que par ordre supérieur.
Arrivé à Paris [note 4] au mois de février 1778, je commençai à y jouir des douceurs du repos, & à me livrer entièrement à l'intéressante relation des Savans & des Médecins de cette Capitale, lorfque pour répondre aux prévenances & aux honnêtetés dont ils me combloient, je fus porté à fatisfaire leur curiosité, en leur parlant de mon syftême. Surpris de fa nature & de fes effets, ils m'en demandèrent l'explication. Je leur donnai mes affertions fommaires en dix-neuf articles [note 5]. Elles leur parurent fans aucune relation avec les connoiffances établies. Je fentis, en effet, combien il étoit difficile de perfuader par le feul raifonnement l'existence d'un principe dont on n'avoit encore aucune idée; & je me rendis, par cette confidération, à la demande qui m'étoit faite, de démontrer la réalité & l'utilité de ma théorie, par le traitement de quelques maladies graves. Plusieurs malades m'ont donné leur confiance la plupart étoient dans un état fi défespéré, qu'il a fallu tout mon defir de leur être utile, pour me déterminer à les entreprendre: cependant j'ai obtenu la guérifon d'une mélancolie vaporeufe avec vomissemeht spafmodique de plufieurs obstructiohs invétérées à la rate, au foié & au méfentere; d'une goutte-fereine imparfaite, au degré d'empêcher la malade de fe conduire feule; d'une paralyfie générale avec tremblement, qui donnoit au malade, âgé de 4o ans, toutes les apparences de la vieillesse & de l'ivresse cette maladie étoit la fuite d'une gelure; elle avoit été aggravée par les effets d'une fièvre putride & maligne dont ce malade avoit été attaqué il y a fix ans en Amérique. J'ai encore obtenu le même fuccès fur une paralysie abfolue des jambes, avec atrophie; fur un vomissement habituel, qui réduifait la malade dans l'état de marasme; fur une cachexie fcrophuleufe & enfin fur une dégénération générale des organes de la tranfpiration.
Ces malades, dont l'état étoit connu & conftaté des Médecins de la Faculté de Paris, ont tous éprouvé des crifes & des évacuations fensibles, & analogues à la nature de leurs maladies fans avoir fait ufage d'aucun médicament; & après avoir terminé leur traitement, ils m'en ont laissé une déclaration détaillée.